Près d'un quart de nos émissions de gaz à effet de serre provient de notre assiette. D'ailleurs, l'alimentation représente le troisième secteur le plus émetteur en France, après le transport et le logement. Alors, si la France veut atteindre la neutralité carbone d'ici 2050, il va falloir sérieusement se pencher sur la question et trouver les leviers qui permettront d'alléger l'empreinte carbone de ce que nous mangeons.
C'est pour répondre à cette question que deux chercheurs d'HEC, Stefano Lovo et Yurri Handziuk, respectivement professeur de finance et doctorant, ont décidé de prendre comme terrain d'étude la cantine de l'école de commerce pendant deux ans et ses 140 000 plateaux-repas servis chaque jour ? . Leur objectif : analyser ce qui pousse les étudiants à choisir, par exemple, le risotto aux champignons complètement végétarien plutôt qu'un steak frites au bilan carbone bien plus lourd.
Une étude en trois étapes
C'est pour cette raison que trois stratégies ont été testées successivement entre août 2021 et la mi-juin 2023. La première consistait à afficher l'empreinte carbone de chaque plat servi dans le restaurant universitaire. Résultat : cet affichage n'a entraîné aucun changement significatif dans le comportement alimentaire des étudiants. Puis, un jour sans viande par semaine a été instauré le jeudi. Cette fois-ci, l'empreinte carbone hebdomadaire a baissé de 10%, mais la fréquentation ce jour-là a également diminué. Donc, peu concluant, selon ces deux chercheurs.
Ces derniers sont donc finalement allés chercher du côté des prix avec la mise en place d'un système de bonus-malus en fonction des émissions de CO2 de chaque plat. Concrètement, les plats dont l'empreinte carbone était située sous la valeur médiane de 3 kilos de CO2 avaient un tarif bien plus avantageux que ceux dont l'empreinte était supérieure, le plus souvent composés de viande. Une simple différence de quelques centimes entre un plat végétarien et un autre composé d'un steak haché a ainsi suffi à réduire l'impact carbone de 27% en moyenne. Et cette réduction a même atteint 42% lorsque le plat végan coûtait moins de 2 euros, contre 8 euros pour un steak frites.
Une expérience à étendre à d'autres secteurs
Au terme de l'expérience, un sondage en ligne a été soumis aux étudiants d'HEC afin de connaître l'acceptabilité sociale de chaque test : ne rien faire, informer de l'empreinte carbone de chaque plat, supprimer la viande deux jours par semaine ou changer le prix avec un système de bonus-malus. Finalement, la politique de tarification a été largement plébiscitée par 60% des répondants, contre 30% pour la régulation de l'offre de viande, 6,5% pour la proposition d'affichage et 3,5% pour le statu quo. Ainsi, selon Stefano Lovo, "ces résultats montrent que rendre l'option à faible empreinte carbone moins chère n'est pas seulement plus efficace, elle est aussi la plus acceptable".
Cette expérience est pour l'instant circonscrite à la cantine d'HEC, mais les deux chercheurs se demandent si elle pourrait être "étendue à d'autres domaines que l'alimentation, comme les transports". Dans une tribune au Monde, Stefano Lovo explique notamment que "pour inciter les gens à délaisser leur voiture ou l'avion au profit du train, il faut que le billet de train coûte moins cher que celui de l'avion ou qu'un trajet en voiture". Or, "tant qu'une consommation restera plus chère qu'une consommation qui ne l'est pas, il sera illusoire et injuste de croire que la transition écologique peut reposer uniquement sur la responsabilisation individuelle", ajoute-t-il, tout en lançant un appel à l'État et aux entreprises à mettre en place cette politique de tarification pour accélérer enfin la transition écologique.